Quelque chose ici va venir
25 02
ChampJohn Berger25 0225 02 | ChampJohn Berger

La vie n’est pas une promenade à travers champs — Dicton russe

L’étagère d’un champ, vert, à faible distance, son herbe encore rare tapissée d’un papier de ciel bleu où du jaune a poussé de sorte à créer un vert parfait, la couleur à la surface de ce que contient la cuvette du monde, champ attentionné, étagère entre ciel et mer, frangé d'un rideau d'arbres imprimés, ftiable en ses bords, aux coins arrondis, répondant au soleil par la chaleur de son sol, étagère au mur derrière lequel on entend parfois un coucou, étagère contre laquelle elle garde les bocaux invisibles et intangibles de son plaisir, champ que j’ai toujours connu, je suis allongé, appuyé sur un coude, et je me demande s’il existe une direction où mes yeux puissent voir plus loin que toi. Le fil de fer qui t’entoure est l’horizon. Rappelez-vous ce que vous ressentiez lorsqu’on vous chantait une berceuse. Si vous avez de la chance, le souvenir remontera moins loin qu’à l’enfance. Les lignes répétées des paroles et de la mélodie ressemblent à des sentiers. Ces sentiers décrivent des cercles, et les anneaux qu’ils forment s’entrelacent comme ceux d’une chaîne. Vous suivez ces sentiers qui vous font tourner en rond, et dont les boucles conduisent l’une à l’autre, toujours et toujours plus loin. Le champ sur lequel vous êtes en train de marcher et sur lequel est posée la chaîne est la chanson. Dans le silence qui par moments se faisait rugissant, dans le silence de mes pensées et de mes questions qui tournaient sens cesse autour de moi-même, constamment à la recherche d’une explication de ma vie et de son sens, dans ce petit moyeu concentré de bruit dense et silencieux, retentit soudain d’une basse-cour voisine le caquet d’une poule ; et, à ce moment-là ce caquet précis, son existence distincte et nette sous le ciel bleu parsemé de nuages blancs, m’a donné un intense sentiment de liberté. Le bruit de la poule, même si je ne la voyais pas, constituait un événement (comme un chien en train de courir ou un artichaut en train de fleurir) dans un champ qui avait été jusque-là en attente d’un premier événement pour pouvoir se réaliser lui-même. Je savais que dans ce champ je pouvais écouter tous les sons, toutes les musiques. Depuis le centre-ville, il y a deux chemins possibles pour rentrer à la cité-satellite où j’habite: la route principale, avec beaucoup de circulation, et une petite route parallèle, qui traverse un chemin de fer. La seconde est plus rapide, à moins que vous n’ayez à attendre au passage à niveau. Au printemps et en été, j’emprunte invariablement la petite route de traverse, etje me susprends à espérer que les barrières du Passage à niveau seront baissées. A l’angle, entre les voies ferrées et la route, il y a un champ, bordé d’arbres des deux autres côtés. L’herbe est haute dans ce champ, et le soir, quand le jour tombe, le vert de l’herbe se divise en grains de couleur clairs et foncés comme un bouquet de persil qu’on éclairerait, la nuit, à la lumière d’une forte lampe. Des pies se cachent dans l’herbe, ou s’en envolent. Leurs allées et venues ne sont en rien affectées par celles des trains. Ce champ me procure beaucoup de plaisir. Pourquoi alors ne vais-je pas m’y promener — il n’est pas loin de chez moi — au lieu de compter sur la fermeture du passage à niveau pour rester bloqué là ? C’est une question de conjonction de hasards. Les événements qui se produisent dans le champ — deux oiseaux se pourchassant, un nuage oblitérant le soleil et altérant la couleur du vert — Prennent une signification spéciale du fait qu’ils ont lieu pendant une minute ou deux alors que je suis obligé d’attendre. C’est comme si ces minutes remplissaient une aire du temps qui correspond exactement à l’aire spatiale du champ. Espace et temps se rencontrent.

L’expérience que j’essaie de décrire par timides approches successives est très précise, et immédiatement reconnaissable. Mais elle se situe à un niveau de perception et de sensation probablement pré-verbal — d’où la difficulté, la véritable difficulté à l’exprimer par des mots. Cette expérience doit sans aucun doute avoir une histoire psychologique, prenant racine dans l’enfance, et pouvant s’expliquer en termes psychanalytiques. Mais les explications de ce type, faute de généraliser l’expérience, ne font que la systématiser. Or, sous une forme ou une autre, cette expérience est, je crois, commune à tout le monde. Si l’on n’y fait guère allusion c’est qu’elle ne porte pas de nom. Je vais tâcher maintenant de décrire point par point, comme s’il s’agissait de tracer un diagramme, cette expérience en son mode idéal. Quelles sont les choses les plus simples que l’on puisse dire à son sujet ? l’expérience concerne un champ. Pas nécessairement le même à chaque fois. N’importe quel champ, à condition qu’il soit perçu d’une certaine façon, peut susciter cette expérience mais le champ idéal, le champ le plus susceptible de la générer est:

  1. Un champ recouvert d’herbe. Pourquoi ? Ce doit être un terrain pourvu de limites visibles quoique pas forcément régulières; il ne peut pas s’agir d’un fragment illimité de nature, dont les seules frontières seraient fixées par la portée naturelle de l’œil. Cependant, à l’intérieur de ce terrain, il doit régner un minimum possible d’ordre, et un minimum d’événements planifiés. Ni récoltes, ni rangées d’arbres fruitiers ne font idéalement l’affaire.
  2. Un champ sur une colline, vu soit d’en-haut, comme le dessus d’une table, soit d’en-bas, avec la pente de la colline paraissant incliner le champ vers vous — comme une partition musicale posée sur un lutrin. Là encore, pourquoi ? Parce que les effets de la perspective se trouvent alors réduits au minimum et que le rapport entre ce qui est distant et ce qui est proche devient Plus égal.
  3. Pas un champ en hiver. L’hiver est une saison d’inaction où l’éventail de ce qui peut arriver est restreint.
  4. Pas un champ entièrement borde de haies. De préférence, donc, un champ continental plutôt qu’anglais. Un champ entouré de haies, avec seulement une ou deux barrières qui s’y ouvrent, limite le nombre d’entrées et de sorties possibles (sauf pour les oiseaux). Les prescriptions ci-dessus doivent suggérer deux choses. Le champ idéal possède en apparence certaines qualités communes avec:
    a) un paysage peint — bords bien délimités, distance accessible, etc.

    (Extrait de «Champ» (1971), Pourquoi regarder les animaux ?, éd. Héro limite, pp. 97-101. Trad. de Katia Berger Adreadis)

Les Ateliers des Arques,
résidence d’artistes
32e édition
Directeur artistique

Emmanuel Tibloux,
directeur de l’École
nationale supérieure
des Arts Décoratifs

Artistes et designers

Romain Gandolphe,
Jean-Sébastien Lagrange,
Sabine Mirlesse,
Anna Saint-Pierre,
Samuel Vermeil et
Nicolas Verschaeve.

Comment documenter une résidence ? Comment rendre compte de sa temporalité propre ? Y a-t-il même une temporalité propre à la résidence ? Ce qui est certain, c’est qu’il existe, dans le temps même de la résidence, un temps de la recherche, rythmé par des rencontres et des événements hétérogènes, qui ne relèvent ni de l’événementiel ni du mémorable. C’est le temps de ce qui arrive à la pensée et à la sensibilité, qui mêle l’individuel et le collectif, la documentation et l’esquisse, l’intuition, l’hypothèse et le projet, des choses vues ou entendues avec d’autres qu’on aura lues ou imaginées. C’est ce temps-là que ce site essaye de rendre sensible, à la façon d’une chronique, d’un enregistrement de ce qui arrive, d’une fenêtre sur le travail en cours.

www.ateliersdesarques.com
@lesateliersdesarques

Conception graphique
& éditoriale
Samuel Vermeil

Développement web
Cédric Rossignol-Brunet

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